Comment massifier les solutions de rafraîchissement passif dans les bâtiments publics ?

Notre bâti est largement inadapté pour faire face à l’augmentation et l’intensification des vagues de chaleur liées au changement climatique. Comment les collectivités peuvent-elles généraliser des solutions de rafraîchissement passif pour faire face à la surchauffe ? Quelle articulation entre les échelles du bâtiment et du parc ? Retour sur la table ronde réalisée à ce sujet lors des Rencontres AdaptaVille 2024.
De nombreuses solutions passives ayant fait leurs preuves permettent d’améliorer nettement le confort au sein des bâtiments pendant les fortes chaleurs, mais elles tardent à être mise en œuvre à grande échelle, avec le risque de recourir massivement à la climatisation. Les collectivités ont un rôle précieux dans la mise en place de ces solutions car elles gèrent un parc très important d’immeubles. Comment peuvent-elles les généraliser ?
 
A ce sujet, l'Agence Parisienne du Climat a réuni plusieurs experts lors de ses rencontres Adaptaville organisées en octobre 2024 :
 
  • Emmanuelle Patte, architecte spécialisée en architecture bioclimatique et co-auteure de la BD « Rester Cool »
  • Karine Jan, Responsable service bâtiment durable au Cerema Méditerranée
  • Dominique Bulle, Responsable Fluides & Energie à la Ville de Poissy

Pourquoi penser à l’échelle d’un parc ?

 
Alors qu’une collectivité agit souvent bâtiment par bâtiment, adopter une approche à l’échelle du parc entier plutôt que de traiter chaque projet de manière isolée s’avère déterminant pour généraliser les solutions de rafraîchissement passif, dans un souci d’efficacité comme de cohérence.
 
Dominique Bulle, qui a piloté la pose de stores motorisés dans les 15 écoles de la ville de Poissy, a expliqué que réfléchir à l’échelle du parc lui avait permis de mieux maîtriser la solution, de répondre de manière rapide aux besoins de l’ensemble des écoles, et de réaliser des économies d’échelle. 

Pour Emmanuelle Patte, réfléchir dans cette perspective, y compris pour les actions de plus long terme, encourage une démarche globale et continue, avec un suivi de la collectivité du début à la fin, alors qu’un projet uniquement à l’échelle d’un bâtiment est souvent fragmenté entre le programmiste, l’architecte et le gestionnaire.

Emmanuelle Patte, architecte - © Philippe Barbosa

Emmanuelle Patte aux rencontres Adaptaville 2024 © Philippe Barbosa 


Comment approcher la phase de diagnostic et d'études préalables ?

 
Phase essentielle pour choisir des solutions adaptées, le diagnostic ne s’appréhende pas de la même manière lorsqu’on étudie un parc entier. Pour Karine Jan : « il ne faut pas commettre l’erreur de vouloir connaître l’ensemble du parc et d’aller chercher toutes les données disponibles ». Le but est de savoir se situer, d’aboutir à une bonne description du parc, en s’intéressant aux données clés. En matière de confort d’été, où elles sont plus difficiles à obtenir que pour les performances hivernales, on va par exemple s’intéresser aux indicateurs d’inconfort thermique ou à la présence de protections solaires. Elle recommande également de choisir un cas représentatif ou de travailler sur des typologies.

C’est d’ailleurs l’approche qui a été adoptée à Poissy, où Dominique Bulle a d’abord étudié une école type, avec des simulations thermodynamiques, pour choisir la solution adaptée. Pour Emmanuelle Patte, il est très utile de réaliser un inventaire global du parc pour relever les défauts, mais aussi les qualités à conserver. Lorsqu’on souhaite agir en profondeur sur un bâtiment, il faut alors considérer le climat, ses abords et ses habitants, afin de bien « ausculter avant de prescrire ».

Dominique Bulle, Responsable Fluides & Energie à Poissy - © Philippe Barbosa


















Dominique Bulle aux Rencontres AdaptaVille 2024 © Philippe Barbosa


Comment choisir la bonne solution à mettre en œuvre ?

 
Les études préalables doivent éclairer le choix des solutions, c’est pourquoi la Ville de Poissy en a testé plusieurs dans ses simulations thermodynamiques, lui permettant de comparer objectivement leur performance en matière de gain de confort estival. Les stores extérieurs en toile à haute performance sont apparus comme le meilleur compromis en termes d’efficacité, de coût, de facilité d’installation, d’entretien, de maintenance, et de contrainte pour les usagers.
 
Un exemple de solutions « sans regret », relativement peu coûteuses et faciles à mettre en œuvre, qui sont très intéressantes selon Karine Jan lorsqu’on agit sur des bâtiments à durée de vie limitée, citant également l’exemple de la Ville de Toulon. En effet, cela permet d’agir vite tout en conservant du budget pour des investissements plus lourds sur des bâtiments qui ont plus d’avenir.
 
Emmanuelle Patte a insisté sur l’importance d’anticiper la gestion en choisissant des solutions si possible low-tech, uniformes et demandant peu d’entretien. Certaines solutions passives sont très faciles à mettre en œuvre et ne demandent même aucun investissement – plusieurs sont décrites dans la bande dessinée « Restez cool » coécrite par l’architecte. Elle a également évoqué la ventilation, les peintures anti-chaleur ou la végétalisation des abords comme pistes intéressantes à généraliser.
 

Quelle place pour l’expérimentation ?

 
Lorsqu'une collectivité souhaite généraliser rapidement une solution, il peut être tentant de sauter la phase d’expérimentation. Mais l’expérience montre qu’elle s’avère dans certains cas un levier pour la généralisation, notamment pour convaincre les usagers ou gestionnaires.
 
À Poissy, c’est le test réalisé en 2020 avec des sondes qui a permis de convaincre de lancer un appel d’offre pour généraliser la solution. Karine Jan a partagé l’exemple d’Aix, où l’ensemble des professeurs ont été convaincus par la pose de brasseurs d’air dans leurs classes grâce à l'expérimentation réalisée en amont dans quelques salles, auprès des volontaires.

Karine Jan, Responsable service bâtiment durable au Cerema Méditerranée - © Philippe Barbosa
Karine Jan aux rencontres AdaptaVille 2024 © Philippe Barbosa


Comment aider les collectivités à massifier ces solutions ?

 
Les intervenantes et intervenants ont conclu cette table ronde en proposant des pistes pour aider les collectivités à généraliser ces solutions vertueuses. Dominique Bulle a proposé une évolution du régime des aides pour l’adaptation des bâtiments, qui concernent aujourd’hui les rénovations globales d’un bâtiment, et non le déploiement d’une solution à l’échelle d’un parc. Pour Karine Jan, un travail sur les usages est à mener, qui pourrait prendre la forme d’un plan d’urgence lors d’une canicule, permettant de « déroger à la règle » en situation de crise. 

Enfin, Emmanuelle Patte préconise aux collectivités de se faire accompagner par un tiers tout au long de la démarche. Elle invite également repenser collectivement certaines pratiques face au changement climatique, en faisait par exemple cours en forêt lorsque cela est possible et que les bâtiments surchauffent trop.


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