Végétaliser les abords des immeubles sur dalle : l'exemple de la dalle Beaugrenelle
Les aménagements urbains sur dalle sont réputés pour être des îlots de chaleur dans les villes, posant la question de leur végétalisation pour répondre au changement climatique. Cependant, ces opérations y sont complexes puisqu’elles s’inscrivent dans un contexte particulier : sous-sols creux, densité et portance limitées, etc. Cette fiche présente des défis communs lors de végétalisation sur dalle ainsi qu’une étude de cas : la dalle du Front de Seine - Beaugrenelle à Paris.
Avec le dérèglement climatique, la ville de demain sera soumise aux fortes chaleurs. Or, il se trouve que certaines parties du milieu urbain ont été pensées pour être verticales avec un espace public suspendu.
Comment donc végétaliser ces espaces déconnectés du sol afin de rafraîchir l’air urbain ? Une fois la végétalisation faite, c’est la gestion de ce nouvel espace qui est intéressante car il peut devenir un refuge pour la biodiversité.
Chaque projet d’aménagement sur dalle possède ses propres spécificités relatives au contexte. On peut cependant distinguer quelques points de vigilance à prendre en compte dès que l’on cherche à végétaliser ce type d’espace.
Portance
Végétaliser sur une dalle portée sur fondations pose immédiatement la question de la portance de cette dernière. En effet, les végétaux ainsi que la terre dans laquelle ils sont plantés ont un poids qui s’ajoute aux éléments déjà présents sur la dalle tels que des immeubles, des infrastructures ou tous types d’aménagements. Ainsi, comme pour d’autres environnements urbains, par exemple les toits d’immeubles, il est fort probable qu’il soit nécessaire de recourir à un substrat, plus léger que la terre seule pour pouvoir planter. Cette méthode peut aussi être couplée à des travaux de renfort de la structure de la dalle afin d’en améliorer la portance.
Types de plantations
Après étude de la portance, la technique la plus simple pour végétaliser sur dalle est de créer des jardinières, plus ou moins étendues en surface. De cette manière il est possible de préserver totalement les espaces en sous-sol, surtout dans le cas où ceux-ci abritent un parking ou des commerces. En revanche, les jardinières ne permettent pas de planter n’importe quel type de végétaux puisqu’elles sont limitées en profondeur.
Le facteur limitant de la profondeur de substrat est bien sûr la portance de la structure, mais il est tout de même possible d’avoir des bacs de plantation plus ou moins profonds. Les jardinières peuvent donc avoir une couche de substrat allant de 5 cm à plus de 30 cm, voir 50 cm, on parle alors respectivement de végétalisation extensive ou intensive. A noter qu’une épaisseur de substrat de 5 cm ne peut accueillir que des plantes type Sedums, avec un intérêt limité en matière de paysage et de services écosystémiques.
De même, dans le cas de végétalisation intensive, la fosse de plantation reste relativement limitée, surtout dans une configuration sans renfort de structure. Plus de substrat signifie plus de poids, d’autant plus qu’il peut se gorger d’eau.
En d’autres termes, il ne sera pas possible de planter de grands arbres qui ont besoin de pleine terre, ou, a minima, d’une fosse de plantation suffisamment profonde pour pouvoir se développer. Les jardinières se cantonnent donc la plupart du temps à des strates basses et moyennes de végétation, ou à des plantations potagères.
Or, l’effet de rafraichissement va dépendre de l’évapotranspiration des plantes et de l’ombrage qu’elles fournissent.
Dans cette logique, un autre choix peut donc être de créer des fosses de plantation de tailles variées qui plongent sous la dalle afin de créer diverses strates de végétation à des endroits précis. Plus radicalement, c’est l’entièreté des sous-sols qui peut être comblée de terre pour ne planter qu’en pleine terre tout le temps. Bien sûr les travaux, et leur coût, varieront en fonction de l’option retenue.
Gestion de l’eau et de l’arrosage
S’il y a besoin d’éviter les phénomènes de ruissellement dans les sous-sols de la dalle en cas notamment de fortes précipitations, il faut penser l’étanchéité des fosses ou des jardinières. De plus, si étanchéité il y a, il faut que le surplus d’eau puisse se déverser dans le réseau d’assainissement, ce qui nécessite un raccordement.
A noter cependant qu’une dalle portée de grande taille nécessite des joints de dilatation afin d’absorber les dilations du béton au fil des températures et des saisons. Il y a donc quoi qu’il arrive infiltration des eaux pluviales dans une certaine mesure.
En ce qui concerne l’arrosage, plusieurs questions se posent. En effet, il est envisageable d’avoir une démarche de préservation des ressources en eau et à ce titre de récupérer les eaux pluviales sur les bâtiments alentours pour nourrir les plantations. Cependant, un tel système doit se prévoir en amont car il joue aussi sur la portance de la dalle. De même, la densité du substrat influera sur sa capacité à retenir l’humidité, mais un substrat plus dense est plus lourd. Une alternative peut donc consister à avoir un paillage recouvrant en permanence un substrat léger lorsqu’il est à nu.
Expérimentation de la solution
La dalle du Front de Seine - Beaugrenelle : un héritage minéral aujourd’hui labellisé « éco-jardin »
Dans le 15e arrondissement de Paris se trouve la dalle du Front de Seine - Beaugrenelle. Située en bordure de Seine, elle est héritée des années 1970 et symbolise la volonté de construire la ville verticale. Elle est composée d’une dalle de cinq hectares où se côtoient immeubles IGH et immeubles bas d’établissements scolaires, des bureaux et des logements. En dessous sont abrités 4500 places de parking et quelques axes routiers.
En 2007, PariSeine.sem fait l’acquisition de la dalle et entreprend de grands travaux de rénovation entre 2010 et 2015. La dalle s’avérant être un îlot de chaleur du fait de sa structure minérale et des immeubles vitrés qui la bordent, PariSeine.sem profite des travaux de rénovation pour végétaliser 2,5 ha des espaces extérieurs.
Aujourd’hui, la zone verte de la dalle remplie une triple fonction de rafraichissement de l’air urbain, d’accueil de la biodiversité et de création de lieu de rencontre pour les riverains.
Comment s’est faite la végétalisation ?
Etudes préalables
Le premier défi de cette opération a été de réaliser une étude sur la capacité de portance de la dalle Ainsi, le substrat utilisé pour planter est composé de terreau allégé par des billes d’argile.
Afin d’augmenter l’épaisseur du substrat, des piliers supplémentaires créant une fosse dans les sous-sols ont été ajoutés. Autre facteur à prendre en compte, en cas d’incendie, la dalle doit pouvoir supporter tous les habitants du quartier qui s’y réuniront.
Améliorer l’existant
La végétalisation de la dalle Beaugrenelle a pu être possible grâce à la présence de fosses de pleine terre de forme conique dès sa création. Ces fosses de 1m20, qui plongent dans les étages inférieurs de la dalle, c’est-à-dire dans le parking, ont permis de planter de grands arbres. Les travaux de rénovation ont d’ailleurs été l’occasion d’augmenter le nombre de ces fosses et leur portance afin d’accroître les capacités de plantation.
Structurellement, les fosses sont des cônes de béton revêtues à l’intérieur d’une première couche de bidim (géotextile), d’une couche de polystyrène alvéolé pour faire circuler l’eau en fond puis d’une seconde couche de bidim sur laquelle rebondissent les racines des arbres, préservant ainsi la structure. En cas de fortes précipitations, elles sont raccordées au réseau d’assainissement afin que le surplus d’eau ne ruisselle pas dans les étages inférieurs de la dalle.
Jardinières
Afin de végétaliser sur la surface et moins ponctuellement comme avec les fosses, la dalle a également été agrémentée de jardinières. D’une profondeur de 40 à 80 cm et étanches, elles accueillent des espaces de prairie et de végétation basse ou moyenne. L’arrosage est au goutte-à-goutte mais contrairement à l’aspersion il n’est pas homogène sur l’ensemble de la surface. Ce type d’arrosage convient plutôt à des jardinières étroites. Il y a aussi un système de drainage en fond pour rediriger le surplus d’eau vers les égouts, évitant ainsi de noyer les plantes et de surcharger la structure.
Entretien et gestion
Le substrat étant léger, il peine à retenir l’humidité c’est pourquoi l’arrosage au goutte-à-goutte a été choisi. Il permet de conserver un certain niveau d’humidité de manière constante.
Dans une démarche de gestions écologique, les jardiniers de PariSeine n’évacuent aucun déchet vert issu de l’entretien des plantations. Au contraire, la zone de la dalle végétalisée comporte 6 points de compostage où sont valorisés ces déchets. Le compost sera réutilisé sur la végétation ainsi que dans le potager en permaculture, géré par les jardiniers. De même, l’approvisionnement en plantes se fait auprès de fournisseurs implantés en Île-de-France.
La dalle Beaugrenelle, au-delà d’être rafraîchie, s’avère être devenue un espace refuge pour la biodiversité grâce à :
- Des hôtels à insectes et nichoirs
- Des espaces de prairies fleuris pour faire des ponts écologiques
- Le paillage systématique des sols à nu
- Un entretien et une taille des végétaux raisonnés
Ces initiatives ont permis à cet espace vert d’obtenir le label « éco-jardin », propriété de l’organisme Plante&Cité et animé par l’Agence Régionale de Biodiversité IDF.
Retours utilisateurs-rices
Qu’est-ce qui n’a pas marché sur la dalle Beaugrenelle ? Retour d’expérience de Boris Jouanno, responsable des espaces verts chez PariSeine
En termes d’entretien, la PariSeine.sem a une équipe 2,5 personnes en équivalent temps plein pour s’occuper des 2,5 ha de jardins, toute l’année.
Choix du système d’irrigation
Selon les jardiniers, l’arrosage au goutte-à-goutte présente des avantages pour maintenir l’humidité du substrat comme mentionné dans la partie Expérimentation. En revanche, ils précisent que cette méthode ne permet d’arroser toutes les zones des plantations uniformément. En effet, ne sont nourries en eau que les plantes situées au pied du tuyau. L’aspersion reste une meilleure option en cas de végétalisation étendue. Le goutte-à-goutte est une technique qui correspond en revanche pour des jardinières étroites.
PariSeine teste sur la dalle un système d’étude des niveaux d’humidité des sols grâce à des sondes afin de mettre en pression les plantes, pour étendre leur système racinaire, et d’établir un Bulletin Agronomique d'Arrosage hebdomadaire. Les connaissances acquises devraient permettre d’avoir un arrosage plus intelligent et économe en eau. Pour cela, la société a fait appel à Urbasense.
Prendre en compte les impacts des immeubles et du vent sur la végétation
La végétalisation sur la dalle du Front de Seine - Beaugrenelle s’est faite aux abords d’immeubles. Du fait de leur architecture, certaines zones du jardin sont couvertes par les dépassées d’immeubles, les privant de pluie. Egalement, les Immeubles de Grande Hauteur peuvent apporter un rayonnement important en été sur les plantes ou a contrario priver certaines zones d’ensoleillement.
A cela s’ajoute le fait que l’arrosage est stoppé en hiver, ce qui a condamné une parcelle du jardin à se développer nettement moins bien que le reste.
Enfin, il faut également anticiper les courants d’air pouvant être important sur la dalle et impactant donc les plantations.
Ces différents facteurs, regroupés parfois dans une même zone, peuvent rendre difficile la végétalisation.
Installer des jardinières adaptées
Certaines plantations très ponctuelles, notamment des petits arbres, ont été effectuées dans des jardinières types « pots » surélevées. Pour des questions esthétiques ces jardinières étaient en métal noir ce qui s’est avéré être une erreur fatale pour les premières générations de végétaux qui y ont été plantées. En effet, en été la jardinière chauffait tellement que la terre s’asséchait et des essences sensibles, telles que le cerisier japonais, n’ont pas survécu.
Co-bénéfices
Co-bénéfices environnementaux :
Biodiversité
Economie circulaire / zéro déchets
Co-bénéfices autres :
Création de lieux de vie
Coûts
Végétalisation intégrée à des travaux de rénovation
PariSeine.sem a fait le choix de végétaliser la dalle du Front de Seine - Beaugrenelle lors des travaux de rénovation au début des années 2010. Il est difficile d’estimer le coût de la végétalisation seule puisque le renfort de la dalle et l’ajout de fosses ont été intégrés à l’ensemble des travaux.
Ces travaux se sont élevés à hauteur de 24 millions d’euros, comprenant la végétalisation.
Qu’en est-il des bacs de végétalisation ?
L’exemple de la végétalisation de la dalle du Front de Seine - Beaugrenelle met en exergue les contraintes financières qui se manifestent dès que l’on souhaite réaliser des travaux lourds de restructuration de dalle. Cependant, ces travaux ne sont nécessaires uniquement lorsque les créations paysagères dépassent la capacité de portance de la dalle. Avec des jardinières ou des bacs de végétalisation, il est possible d’apporter des espaces verts sans avoir à mettre en œuvre des travaux de fond, pour un prix plus raisonnable.
Plus concrètement, le prix de l’opération sera corrélé à l’épaisseur de substrat apposée :
5cm de substrat coûtent environ 40 à 50 euros/m2
8/10/12 cm de substrat coûtent environ 100 euros/m2
En intensif, à savoir plus de 30cm de substrat, le prix peut se situer entre 300 à 500 euros/m2
A noter, que ces prix ne sont que des estimations, comprenant la fourniture du matériel (bac/matériel de drainage, isolant anti-racines/etc + substrat) ainsi que la pose. De plus, même si une couche très superficielle de substrat coûte nettement moins, cher, il ne faut pas oublier que les possibilités offertes par cette option sont beaucoup plus limitées, tout comme les bénéfices tirés en matière de confort thermique.
Complexité et contexte de mise en oeuvre
Végétaliser une dalle : un aménagement complexe
La végétalisation sur dalle est forcément plus complexe que dans d’autres contextes urbains. Du fait de divers facteurs comme les limites de la portance ou la nature des sous-sols, il peut être nécessaire de revoir la structure de la dalle, d’y ajouter des renforts, des fosses, etc, afin de pouvoir planter en surface.
Avec un investissement initial important en termes de coût, de temps et de préparation (études, concertations, etc), il n’est pas illogique de penser cette végétalisation dans un projet plus global d’aménagement qui peut servir à donner de nouveaux usages à l’espace public, à créer des lieux de vie, et à intégrer plus largement le projet dans les dynamiques d’un quartier, comme cela a été le cas lors du projet de réaménagement de la PariSeine.sem.
Une autre solution de végétalisation moins coûteuse réside dans les jardinières, plus ou moins étendues en termes de surface. En fonction de l’épaisseur de substrat qu’elles contiennent, il ne sera pas forcément nécessaire de revoir la portance de la structure. Le résultat obtenu et la qualité des bénéfices tirés dépendra de la profondeur du substrat et de la surface végétalisée.
Prestataire(s)
SLG Paysages
Maître d'œuvre sur la végétalisation de la zone Bérénice Ouest de la dalle du Front de Seine - Beaugrenelle