D’après Bruno Gouyette, chargé de la mission Energie au Secrétariat General de la Ville De Paris, la consommation de froid à Paris est estimée actuellement à 2 ou 3 TWh. Elle est en constante augmentation, principalement en raison du doublement de la consommation des surfaces commerciales en 20 ans, qui n’utilisent pas toujours les systèmes les plus efficaces. D’après l’Agence Parisienne d'Urbanisme (APUR), ces besoins de froid pourraient atteindre en 2050 4 TWh, une augmentation dûe en partie à la multiplication et à l’intensification des vagues de chaleur prévues.
Cela entraîne plus de risques liés aux fortes chaleurs pour les personnes qui travaillent en extérieur, se déplacent, ou ne seraient pas équipées de climatiseur.
Un climatiseur consomme beaucoup d’énergie : aux Etats-Unis, les pics de consommation d’énergie ont d’ailleurs lieu l’été en raison du nombre de climatiseurs, saison où il est plus difficile de produire de l’énergie, entraînant des risques de coupure de courant.
S’appuyer sur la climatisation est une stratégie très risquée puisqu’on s’expose à des problèmes d’approvisionnement qui peuvent avoir des conséquences sanitaires graves.
Comme expliqué par Hélène Bru, Directrice Energie chez GreenFlex, la climatisation participe en outre au changement climatique, via la production de l’énergie qu’elle consomme mais aussi en raison de l’utilisation de fluides frigorigènes. Ceux-ci, choisis à l’origine pour leurs propriétés thermodynamiques, se sont révélés très nocifs pour l’environnement. Les chlorofluorocarbures ont été interdits pour leurs effets destructeurs sur la couche d’ozone, remplacés par les hydro chlorofluorocarbures, des gaz à effet de serre très puissants et interdits à leur tour. Aujourd’hui sont surtout utilisés les hydrofluorocarbures, d’autres puissants GES, dont le retrait est échelonné en Europe selon leur potentiel réchauffant, au profit d’autres fluides moins nocifs mais aussi moins efficaces.
Comment réduire le besoin en froid lors des fortes chaleurs ?
Les bons gestes à adopter
Plusieurs mesures présentées par Hélène Bru peuvent être adoptées chez soi ou au travail pour se rafraîchir sans climatisation lors des fortes chaleurs :
- Maîtriser les apports thermiques extérieurs, d’abord au niveau des vitrages avec des protections solaires extérieures, et en fermant la fenêtre lorsque la température extérieure est supérieure à la température intérieure.
- Maîtriser les charges thermiques internes, par exemple en éteignant ses appareils électriques dès que possible ou en évitant d’utiliser son four.
- Profiter des périodes favorables pour rafraîchir le logement, en ouvrant les fenêtres ou en utilisant des systèmes de ventilation en survitesse.
- Rafraîchir son corps avec des mouvements d’air (brasseurs d’air, ventilateurs) et en humidifiant sa peau.
Des bâtiments bioclimatiques pour un rafraîchissement passif
Comme l’a exposé Alain Bornarel, gérant émérite chez TRIBU, des solutions concrètes peuvent mises en place pour permettre un rafraîchissement passif des bâtiments. Quelques exemples :
- Construire un « bouclier solaire » devant la façade pour la protéger du soleil en été.
- Evacuer les surchauffes par une ventilation naturelle (qui doit permettre un taux de renouvellement d’air de l’ordre de 15 volumes-heure, bien plus que ce que permet la ventilation mécanique).
- Privilégier des toitures claires qui réfléchiront le rayonnement, à l’inverse des toitures sombres qui vont emmagasiner la chaleur.
- Faire entrer la fraîcheur la nuit et la stocker dans des éléments à forte inertie de la structure (sol, plafond, murs) pour qu’elle se diffuse au long de la journée.
- Utiliser le pouvoir rafraîchissant de la végétation.
- Utiliser la fraîcheur contenue dans la terre grâce aux puits climatiques.
- Equiper les bâtiments en brasseurs d’air pour créer un « effet brise ».
"L’approche bioclimatique des bâtiments, qui était jusqu’à maintenant essentiellement une bioclimatique du soleil, est en train de devenir une bioclimatique de la végétation." Alain Bornarel
Quelle est la politique de la ville vis-à-vis de la climatisation ?
Bruno Gouyette, qui fait partie de la mission Energie du Secrétariat General de la Ville De Paris, a délivré un message clair contre les solutions individualistes et le phénomène de passager clandestin : en effet si une seule personne s'équipe en climatisation elle profitera d'un logement frais sans réchauffer la ville, mais dès lors que son usage se massifie, comme expliqué précédemment, les conséquences deviennent lourdes pour la communauté, d'où l’importance de la sensibilisation. La Ville agit aussi au niveau des bâtiments à travers le Plan Local d'Urbanisme (PLU) bioclimatique, en cours d’élaboration.
"On ne peut pas être sur une logique de passager clandestin en matière de climatisation ... car quand il n’y a que des passagers clandestins, le bateau coule." Bruno Gouyette
Face aux canicules, la gouvernance du territoire est essentielle pour ne pas laisser les plus fragiles de côté, en particulier les personnes isolées, en maintenant les services publics en toute situation et en ouvrant des lieux de fraîcheur, en coopération avec les collectivités, les associations et les entreprises. Une réponse organisationnelle et collective doit garantir un certain confort d’été sans recourir à la climatisation individuelle d’après M. Gouyette.
Paris dispose aussi de son réseau de froid, géré sous le mode de la concession de service public. Celui-ci apporte une solution de refroidissement plus efficace que la climatisation individuelle mais qui reste limitée par sa taille (86 km de réseau), par son coût prohibitif pour les petites surfaces, et par l’évacuation de la chaleur qu’il produit qui réchauffe la Seine, alors qu’elle est plus basse et plus chaude l’été et qu’elle sert déjà à refroidir les centrales de production d’électricité. L’objectif est de doubler la taille de ce réseau pour atteindre 1 TWh/an mais il ne s’agira donc pas d’une solution universelle.
Est-il possible de se passer complètement de climatisation ?
M. Viguié a présenté les conclusions de son étude menée avec Météo France, qui modélisait le climat parisien et l'usage de la climatisation à la fin du siècle. Selon elle, les principales mesures d’adaptation évoquées permettraient de réduire fortement le recours à la climatisation, mais ne suffiraient pas à maintenir le confort d’été lors des épisodes caniculaires plus longs et plus intenses attendus. Il a insisté sur le fait que ces conditions étaient prévues à partir de 2070, ce qui ne rend pas la climatisation nécessaire dès aujourd’hui, contrairement aux travaux d’isolation qui doivent être menés le plus tôt possible. Mais la question de solutions de refroidissement efficaces devient bien légitime à Paris en se projetant dans quelques décennies. Le premier levier est une utilisation raisonnée : une activation seulement à partir de 26°C (l’inverse étant d’ailleurs interdit à Paris) est la mesure la plus efficace pour réduire les consommations d’énergie et le réchauffement de la ville dans l’étude, devant l’isolation ou la végétalisation.
"Pour l'instant, nous pouvons tout à fait nous baser sur les autres solutions décrites. Ce n'est que dans quelques décennies qu'il faudra aller au-delà." Vincent Viguié
Existent-ils des modes efficaces de climatisation et de rafraîchissement en dernier recours ?
Plusieurs systèmes naturels ont été décrits par Hélène Bru :
- La surventilation nocturne active, dédiée à évacuer les surchauffes pendant la nuit.
- Les puits climatiques : un conduit d’aération passe sous le sol pour rafraîchir l’air entrant en été et le préchauffer en hiver. Ces systèmes sont difficiles à mettre en place à Paris, où on peut malgré tout déjà jouer sur l’aération des caves.
D’autres systèmes plus vertueux que la climatisation traditionnelle s’appuient sur la vaporisation de l’eau pour absorber de la chaleur (les
systèmes adiabatiques) :
- Les systèmes le plus simples associent une ventilation et un réservoir d’eau pour rafraichir l’air en l’humidifiant.
- D’autres plus poussés mettent en place un échange indirect pour ne pas augmenter le taux d’humidité : le flux d’air refroidi par évaporation refroidit à son tour dans un échangeur l’air insufflé à l’intérieur.
- Une variante, le système à dessicant, fait passer l’air entrant dans un matériau dessicant qui abaisse son humidité, avant d’être humidifié pour être refroidi. Ce système a besoin d’être chauffé pour régénérer le matériau dessicant, potentiellement par un système solaire.
En revanche, les climatiseurs monoblocs qui évacuent la chaleur par le biais d’une manche flexible, très peu efficaces, sont
à éviter absolument !
Deux projets concrets
Projet 1 : Projet air, avec le Pavillon de l’Arsenal
L’agence d’architecture Ylé, représentée par Lucille Leyer, a lancé en 2019 le projet Air afin de
chercher une solution pour rafraîchir les logements parisiens mono-orientés, sans climatisation, en faisant entrer un air sein, et en respectant l’architecture parisienne. La solution a été inspirée par la "rétrotech" utilisée dans des pays familiers des fortes chaleurs. Ce projet repose sur le réinvestissement de deux espaces délaissés ou sous-utilisés que sont les cours et les cheminées. Des écosystèmes de rafraîchissement sont créés dans les cours (végétalisation, récupération de l’eau de pluie), qui deviendront des îlots de fraîcheur. Un circuit acheminera l’air partant de ces cours rafraîchies dans les immeubles via les conduits de cheminées, pour rafraichir les intérieurs et créer un effet de ventilation et évacuer l’air vicié. L’idée serait de proposer un système de cheminées avec des capteurs pour augmenter l’effet rafraîchissant. La recherche s’appuie sur la modélisation de trois immeubles parisiens.
"Nous avons réfléchi à comment prendre les idées qui existent dans des pays où il fait très chaud pour les adapter aux bâtiments parisiens." Lucille Leyer
Projet 2 : Projet Viavino, « pôle oenotouristique » proche de Montpellier.
Alain Bornarel a de son côté présenté le projet Viavino, un pôle oenotouristique situé à Saint-Christol (Hérault). Ce pôle a été conçu pour rafraîchir les espaces qui le composent sans climatisation artificielle : des doubles façades afin de protéger du rayonnement solaire tout en laissant passer l’air, un système de volets pour faire entrer et canaliser le mistral, des tourelles thermiques au sommet des bâtiments pour évacuer le vent, des brasseurs d’air, un bouclier solaire qui laisse entrer le soleil en hiver et protège contre le soleil en été... Le sol en terre battue et une double structure en bois et pierre de façades génèrent de l’inertie pour ralentir le réchauffement du bâtiment. Les systèmes sont adaptés à chacun des bâtiments en fonction de son usage et de sa fréquentation.