Rétrospective Rencontres AdaptaVille 2024 : la parole aux élus et aux scientifiques
Le 14 octobre 2024, plus de 350 participants se sont rassemblés au Pavillon de l'Arsenal pour la 4ᵉ édition des Rencontres AdaptaVille. Dans cette série d'articles, découvrez les échanges et les retours d’expérience enrichissants qui ont rythmé cette demi-journée pleine d'enseignements sur l'adaptation des territoires au changement climatique.
Les Rencontres AdaptaVille : un événement phare pour les professionnels franciliens de l’adaptation
Ce rendez-vous réunit chaque année les acteurs publics et privés, grandes et petites structures, spécialistes de l’espace public, du bâtiment ou de la végétalisation, autour d'un objectif commun : accélérer l’adaptation du territoire.
L’après-midi a débuté par une session plénière où élus, scientifiques et acteurs de terrain ont partagé leur expertise lors de trois tables rondes dédiées aux défis de l’adaptation du territoire. Ensuite, les participants ont pu explorer une trentaine de stands proposant des dispositifs d’accompagnement, des solutions de financement, des retours d’expérience et des outils concrets pour l’adaptation.
Ce premier article se penche sur le discours d’ouverture des Rencontres AdaptaVille 2024 prononcé par l'éminente chercheuse et auteure du GIEC Sophie Szopa. Il restitue également la première table ronde à laquelle elle a pris part aux côtés de représentants de la Ville de Paris et de l’Ademe Île-de-France pour décrire les interactions entre scientifiques et élus dans l’orientation des politiques publiques locales sur l’adaptation.
Sophie Szopa est Directrice de recherche au CEA, coordinatrice et une des auteures principales du 6e rapport du GIEC. Elle fait également partie du GREC francilien, Groupe régional d’expertise sur le changement climatique et la transition écologique en Île-de-France.
Le Groupe d'experts intergouvernemental sur l'évolution du climat (GIEC) est divisé en 3 groupes travaillant chacun sur un volet spécifique : les principes physiques et écologiques du changement climatique (I) ; les impacts, la vulnérabilité et l'adaptation au changement climatique (II) ; les moyens d'atténuer (mitigation) le changement climatique (III). Membre du groupe I, elle nous a partagé quelques conclusions de ses travaux ainsi que ceux des autres groupes.
Les villes : particulièrement vulnérables aux impacts du changement climatique
Typhon aux Etats-Unis, tempête Kirk en Europe, records de température ou de précipitations… Un rapide coup d'œil à l'actualité récente illustre ce qui nous attend à l'avenir. Le réchauffement climatique entraînera une augmentation de la fréquence des événements extrêmes, provoquant des effets en cascade tels que les incendies et les inondations. Le cumul des changements lents et des événements extrêmes renforce la vulnérabilité du territoire. En milieu urbain, les changements physiques et les impacts sont exacerbés car les villes concentrent de nombreux réseaux et des tranches de population particulièrement vulnérables.
Vers un réchauffement à +4°C au niveau français
Nous sommes d'ores et déjà à 1,2°C de réchauffement depuis l’ère préindustrielle. Les promesses sont très insuffisantes pour ne pas dépasser l'objectif de 1,5°C de l'Accord de Paris. Il est irréaliste de penser qu'il sera respecté.
« Nous sommes très loin de cette trajectoire à 1,5 degrés. Nous nous dirigeons vers les 3 degrés au niveau mondial et vers les 4 degrés en France » .
C’est d’ailleurs cette trajectoire de réchauffement de référence pour l'adaptation au changement climatique (TRACC) que le gouvernement a retenu dans sa publication du 3e Plan National d’Adaptation au Changement Climatique (PNACC), parue quelques jours plus tard. Pour autant, il n’est pas question de réduire les efforts pour atténuer au maximum le réchauffement du climat.
L’importance d’agir sur le long terme
Il est indispensable de concevoir l'atténuation en parallèle de l'adaptation, en tenant compte d'un horizon temporel à long terme afin de prévenir la mal-adaptation. Comme le pointe le groupe II du GIEC, de nombreux exemples de mal-adaptation peuvent générer un « faux sentiment de sécurité ». C'est pourquoi il est essentiel de penser les stratégies d’urbanisation sur le long terme en impliquant toutes les parties prenantes.
Prendre en compte la population dans la transformation des villes : un pré-requis
Avec une population urbaine qui devrait connaître une augmentation considérable dans les prochaines décennies, il est urgent de transformer les villes en adoptant des solutions fondées sur la nature, des approches techniques et des initiatives sociales. Ces dernières pourraient inclure des dispositifs tels qu'un filet de sécurité sociale ou des systèmes d'alerte pour prévenir les populations face aux événements extrêmes. Les nombreux co-bénéfices de ces solutions, y compris sur la santé, sont à expliquer et à rappeler aux populations pour favoriser une meilleure acceptabilité de ces politiques publiques.
« D’ici 2050, les zones urbaines pourraient abriter les deux tiers de la population mondiale ».
Néanmoins, l’efficacité des solutions fondées sur la nature reste discutée entre scientifiques, notamment dans la deuxième moitié du siècle car « il y a un grand point d’interrogation sur la manière dont les végétaux et les animaux vont répondre au changement climatique ».
Le rôle des acteurs non-étatiques dans l’adaptation au changement climatique
Selon le groupe III du GIEC, les acteurs inter-étatiques jouent un rôle crucial pour mener ces transitions.
« Les collectivités territoriales ont un rôle d’autant plus important qu’elles connaissent le terrain et peuvent le prendre en compte réellement ».
Pour être efficace, l'action en faveur du climat doit être juste, inclusive et fondée sur le partage des connaissances. Il est essentiel d'intégrer le changement climatique dans toutes les décisions prises aujourd'hui, en s'appuyant sur des données scientifiques. Comme l'affirme l'experte : « Nos choix d'aujourd'hui auront des répercussions pendant des centaines, voire des milliers d'années. Il est donc indispensable de garder à l'esprit que le climat va se réchauffer afin d'éviter la mise en place de politiques qui deviendraient rapidement obsolètes. »
Les publications scientifiques à suivre pour les acteurs des villes
Pour guider leur prise de décision, les acteurs du territoire sont invités à suivre les prochaines publications du GIEC, notamment le prochain rapport sur les villes qui paraîtra en 2027 et aura pour but de mesurer l’efficacité des décisions et de fournir un guide méthodologique.
« L’échelle de la ville est un vrai levier pour changer les modes de consommation et les habitudes de vie. »
D’autres ressources sont utiles aux acteurs de l’adaptation des milieux urbains :
Quelles sont les différentes stratégies, programmes et nouvelles actions mises en place pour accélérer l’adaptation sur le territoire ? Quelles sont les liens entre scientifiques et politiques pour y parvenir ?
Cette première table ronde est animée par Cécile Gruber, Directrice Transitions et Communication à l'Agence Parisienne du Climat et réunit Dan Lert, Adjoint à la Maire de Paris en charge de la transition écologique, du plan climat, de l’eau et de l’énergie; Amélie Renaud, Directrice Régionale de l’Ademe Ile-de-France et Sophie Szopa, Directrice de recherche au CEA et auteure du GIEC.
L’adaptation, c’est « Éviter l’ingérable, gérer l’inévitable ». François Gemenne, co-auteur du rapport du GIEC et intervenant d'ouverture des Rencontres AdaptaVille 2022
Pour rebondir sur la conclusion du discours d'ouverture, Dan Lert a d'abord souligné que le nouveau Plan Climat de la Ville de Paris, à paraître prochainement, s'est largement fondé sur des données scientifiques. Paris a déjà enregistré un réchauffement de plus de 2,3 °C depuis l'ère préindustrielle et fait face à des événements extrêmes de plus en plus fréquents. La semaine précédente, plus de 70 mm de précipitations sont tombés en une seule journée.
L'objectif principal de ce nouveau Plan Climat est de préserver l'habitabilité de Paris tout en protégeant les populations les plus vulnérables face aux effets du changement climatique, qui accentue les inégalités. Pour résumer, faire « Plus vite, plus local, plus juste ». Adapter les bâtiments, adapter le territoire avec des solutions fondées sur la nature, désimperméabiliser, faire redescendre la température et infiltrer les eaux, investir massivement pour rendre plus résilient les systèmes des chauffages urbains, de production d’eau potable.
Tout cela va de paire avec l’objectif de réduire les émissions de gaz à effet de serre de Paris, où des pics de chaleur à 50°C sont attendus. Encore une fois, les personnes les plus vulnérables en seront les premières impactées car elles ne peuvent pas quitter la ville lors des vacances d'été.
En ce qui concerne l'adaptation des bâtiments, l'une des priorités de la Ville est de rénover les écoles, les crèches et les EHPAD municipaux, qui accueillent une population particulièrement vulnérable. Pour atteindre ses objectifs, elle a lancé des programmes de rénovations globales et complètes de ses équipements. Mais cela a un coût : « Ce sont des milliards d’euros à investir pour végétaliser les cours, développer des centrales solaires sur les toits. Car l’objectif est aussi de faire baisser les consommations d’énergie, voire de devenir producteur. »
« La Ville a la responsabilité de garantir la continuité de l’accès à l’éducation, le « droit à faire classe » en 2050 malgré l’augmentation de la température. »
Pour faire « plus juste », toutes les mesures d’adaptation seront réalisées en priorité dans les quartiers où les familles partent moins en vacances.
Pour limiter la surchauffe dans les bâtiments, le Plan Volets et le développement du réseau de froid sont mis en place pour y raccorder les établissement sensibles et notamment, les hôpitaux parisiens. L’objectif : « éviter à tout prix la climatisation à Paris », qui pourrait aggraver l’effet d’îlot de chaleur urbain en réchauffant l’air extérieur (certaines études parlent de +2°C), mettre en danger la santé des habitants, et accroître la consommation énergétique.
En tant que président d’Eau de Paris, Dan Lert a présenté le nouveau Plan de sobriété hydrique de la Ville, récemment adopté par le Conseil de Paris. Face à la diminution du rechargement des nappes, au ralentissement des débits des cours d’eau et aux préoccupations concernant la quantité et la qualité de la ressource en eau, la Ville s'est engagée à réduire ses prélèvements de 15 % d'ici 2030.
Pour atteindre cet objectif, la Ville souhaite réévaluer les usages de l’eau non potable et s’appuyer sur ce réseau. Elle continuera également à œuvrer pour réduire les fuites et envisage des projets permettant de valoriser les surplus d’eau potable.
Amélie Renaud a développé les deux grands rôles de l’Ademe :
Apporter une expertise et un éclairage aux décideurs politiques dans la perspective d’une transition écologique et d’un réchauffement climatique à 4°C à travers, par exemple, de grands schémas de transition pour atteindre la neutralité carbone par exemple ;
Accompagner les collectivités territoriales et les entreprises dans leurs transitions via des aides, des relais ou des outils pour mettre en place des politiques adaptées, comme AdaptaVille que l’Ademe soutient depuis son lancement.
Il faut aussi pouvoir évaluer les impacts des actions mises en place pour éviter la mal-adaptation.
« Les solutions existent, elles ne sont pas toutes parfaites, mais des projets sont mis en place et il est important de partager les retours d’expérience. »
Réinterroger le système global d’un territoire permet aux populations de faire face aux changements à venir et d'atteindre une résilience globale et systémique. Pour l'Ademe, cela passe par des Appels à Manifestation d’Intérêts (AMI) tels que TACCT pour accompagner au plus près les territoires, qui ne savent pas nécessairement par où commencer. L'AMI décliné au niveau francilien propose un diagnostic des collectivités, l’élaboration d’une stratégie qui s’inscrit dans la durée, un accompagnement à la montée en compétence, des échanges entre pairs, des temps collectifs, etc.
Sophie Szopa a présenté le rôle du GREC, le Groupe Régional d’Expertise sur le Changement climatique et la transition écologique en Ile-de-France, interface entre des scientifiques de toutes disciplines et les acteurs décisionnaires d’Île-de-France. Un espace de dialogue et de circulation des savoirs entre deux entités à la temporalité assez différente. En effet, « chercher à comprendre les besoins des élus et comprendre ce que la science peut amener est une tâche longue ».
« Pour faciliter les échanges, certaines collectivités comme par exemple la Ville de Paris ont mis en place des cellules spécifiques avec des groupes de travail. »
De ces échanges, sont nés des carnets co-écrits de synthèse comme « Les classes populaires et la transition socio-écologique à Paris et sa banlieue ». Paris a également consulté le GREC dans la mise à jour de son Plan Climat. Des séances d’appropriation scientifique et de questions-réponses sont organisées avec les élus. Selon Sophie Szopa, « les élus ont besoin de savoirs appropriables rapidement », c'est pourquoi les liens entre le GREC et les collectivités doivent se renforcer.
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