Réutiliser les eaux non conventionnelles : une solution pour préserver la ressource en eau

Les eaux non conventionnelles sont des eaux ayant été altérées et polluées par l’activité humaine. Elles peuvent provenir de sources très différentes : de l’usage domestique, industriel, agricole. Parmi ces eaux non conventionnelles, nous pouvons citer les eaux grises, les eaux d’exhaure ou encore les eaux pluviales. Mais concrètement, de quoi parle-t-on ?  
[Publié le 12 juin 2023]

Les différents types d'eaux non conventionnelles

Les eaux usées domestiques ou industrielles


Les eaux usées peuvent être dites “domestiques” ou “industrielles” : ce sont des eaux qui utilisées et rejetées dans le cadre de l’activité humaine. Ces eaux sont ensuite traitées par les stations d’épurations ou des systèmes autonomes. 

Parmi elles, les eaux grises sont des eaux usées provenant de l’usage domestique.  

Les eaux grises 


Les eaux grises, comparées aux eaux issues de l’industrie, sont faiblement polluées et proviennent de l’évacuation d’installations telles que les douches, les machines à laver ou les lavabos. Il ne faut pas les confondre avec les « eaux noires », qui proviennent des toilettes.  

Les eaux pluviales et de ruissellement 


Les eaux pluviales sont issues des précipitations et s’écoulent via les toits, les gouttières, les caniveaux. Lorsque les sols sont imperméables et que l’eau ne peut pas s’infiltrer, on parle aussi d’eaux de ruissellement. En zone urbaine, l’eau ruisselle généralement sur les trottoirs, les parkings ou les routes, mais ces surfaces sont souvent très polluées à cause de la présence de détritus ou de résidus d’hydrocarbures, ainsi les eaux de ruissellement peuvent être polluées à leur tour. 

Les eaux d’exhaure 


Les eaux d’exhaure sont les eaux évacuées depuis les mines, les carrières ou les infrastructures souterraines comme les métros, ou encore les parkings souterrains. Si elles ne sont pas pompées et évacuées, elles risquent d’empêcher l’exploitation de ces espaces. Les eaux d’exhaure peuvent provenir de phénomènes de ruissellement entre la surface et le sous-sol mais elles peuvent également être dues à des remontées de nappes phréatiques. À Paris, les eaux d’exhaures représentent un volume annuel de 5 à 6 millions de mètres cubes qui jusque-là est pour la majorité renvoyée vers les stations d’épuration. 


Pourquoi faut-il aller plus loin sur la réutilisation des eaux non conventionnelles ? 

Dans le contexte de réchauffement climatique et de multiplication des épisodes de sécheresse, la ressource en eau est particulièrement sous tension. Sur le périmètre de la Métropole du Grand Paris, Météo-France estime que le nombre de jours « secs » en été (lorsque l’indice d’humidité du sol est inférieur au seuil en-dessous duquel l’irrigation est nécessaire à la survie des plantes) devrait augmenter, approchant les 100 jours au cours du siècle. Selon l’AESN (Agence de l'Eau Seine-Normandie), la sécheresse hydrologique touchera également le bassin de la Seine, abaissant le débit des cours d’eau de 10 à 30 % et faisant peser un risque sur la recharge des nappes phréatiques. 

Avec ce stress hydrique, il existe donc un enjeu à réutiliser de manière plus systématique les ressources en eau alternatives, telles que les eaux pluviales, les eaux grises ou les eaux d’exhaure, notamment dans le milieu urbain. 

Elles pourraient par exemple être utilisées davantage pour l’arrosage, l’irrigation, le nettoyage de la voirie, etc. Cela permettrait une gestion plus efficace de l’eau et d’éviter de nouveaux prélèvements de la ressource, voire même de réduire certains coûts d’approvisionnement. 

L’utilisation des eaux non conventionnelles est cependant soumise à précautions et doit se limiter à des usages particuliers, car selon les niveaux de pollution, elle peut représenter d’éventuels risques sanitaires. Selon le Haut Conseil de la Santé Publique, il faut notamment veiller à bien dissocier les réseaux d’eaux potables des réseaux d’eaux non conventionnelles. 

En France, ce sont 1 % des eaux usées qui sont actuellement réutilisées, avec seulement  0,3 % qui sont issues de la réutilisation des eaux usées traitées (CEREMA, 2020). En Italie et en Espagne, la réutilisation des eaux usées monte respectivement à 8 % et 14 %.  


Faut-il obligatoirement traiter les eaux non conventionnelles en stations d’épuration avant leur utilisation ? 

Si les eaux non conventionnelles ont pu être en contact avec l’activité humaine, elles ne sont cependant pas obligatoirement toutes polluées au point de nécessiter un traitement en station d’épuration ou dans un assainissement collectif. Certaines réutilisations sont possibles :  

Réutiliser les eaux d’exhaure 


Les eaux d’exhaure, quand elles ne contiennent pas de métaux lourds à risques, peuvent être réutilisées directement.  

Le 15 mai 2023, la RATP a lancé un consortium scientifique sur la valorisation des eaux d'exhaure, dont fait partie l'Agence Parisienne du Climat.

C’est notamment le cas dans la station de métro Balard, dans le 15e arrondissement de Paris, où la RATP et Eau de Paris viennent prélever les eaux d’exhaure et les réinjectent directement dans le réseau d’eau non potable, qui sert ensuite à arroser les jardins municipaux et à nettoyer la voirie. Cette expérimentation a notamment fait l’objet d’un suivi scientifique sur la qualité des eaux en contact avec l’eau d’exhaure.  

La Ville de Paris est dotée d’un réseau d’eau non potable de 1 700 km. L’eau est principalement utilisée par les services municipaux pour arroser les espaces verts, laver les trottoirs et les chaussées ou encore curer les égouts. 

C’est d’ailleurs dans ce cadre que la RATP a lancé, le 15 mai 2023, un consortium scientifique sur les eaux d’exhaure. Celui-ci aura pour objectif de : 

  • Mobiliser les acteurs du territoire engagés pour une gestion durable des ressources en eau ;
  • Partager les connaissances, les idées et les savoir-faire liés à la revalorisation des eaux d’exhaure ;
  • Accompagner l’émergence d’une réglementation encadrant l’usage des eaux d’exhaure.

Traiter et réutiliser les eaux pluviales et de ruissellement  par la végétation


En ville notamment, l’eau de ruissellement peut être redirigée vers des aménagements verts, comme des noues urbaines, des fosses d’arbres ou des jardins de pluie. Ces aménagements, en plus de favoriser la biodiversité et le confort thermique (par évapotranspiration), permettent d’absorber ces eaux et de les traiter naturellement.  

Le même principe peut être appliqué pour les eaux de pluie prélevées en toiture grâce à l’installation de toitures végétalisées. Une partie de l’eau de pluie est directement captée par les végétaux sur le toit et n’est donc pas redirigée vers les réseaux d’assainissement. Les eaux peuvent également être récupérées grâce à des cuves de stockage pour être réutilisées pour l’arrosage. C’est par exemple le cas dans de nombreuses cours d’école Oasis, comme dans la Cour Oasis de l’école maternelle Emeriau à Paris, ou bien dans des immeubles du 10e arrondissement.  

Dans le Bois de Boulogne, le projet LIFE Adsorb, coordonné par la Ville de Paris, a permis d’aménager un bassin planté de roseaux dont le but est de filtrer les eaux de ruissellement issues de la voirie et de les rediriger dans la Seine une fois dépolluées. 

Equiper les bâtiments de systèmes autonomes de traitement des eaux grises 


Dans les bâtiments, des systèmes de traitement des eaux grises, de lavabo ou de machines à laver par exemple, peuvent être installés pour pouvoir les réutiliser directement, pour l’arrosage par exemple. A Fréjus, une expérimentation a été lancée pour tester ce type de systèmes dans une résidence de trois bâtiments afin d’alimenter un jardin de 1 500 m². 


La REUT (Réutilisation des eaux usées traitées), une pratique encore peu pratiquée en France 

Dans le cas où aucune des solutions précédentes n’est envisageable, les eaux doivent faire l’objet d’un traitement après leur collecte et avant leur réutilisation. On parle alors d’eaux usées traitées. 

Si, en France, le volume d’eaux usées traitées est estimé à 8,4 milliards de m3, le CEREMA situe entre 8 et 11 millions de m3 les eaux qui sont ensuite réutilisées, soit environ 1 % (CEREMA, 2020). La REUT (réutilisation des eaux usées traitées) est pourtant une solution de recours aux eaux non conventionnelles.  
Selon le CEREMA, il faudra tout de même noter que si la REUT est une solution intéressante à mettre en place, elle doit obligatoirement s’inscrire dans une réflexion globale sur la sobriété. La REUT doit donc être équilibrée, car elle pourrait contribuer à saliniser les sols ou encore à augmenter la consommation d’eau par la création de nouveaux usages. 

La réglementation de la REUT en France 


La réutilisation des eaux usées en France est encore peu employée mais la réglementation sur la question ces dix dernières années est allée en direction d’une augmentation de cette pratique. L’arrêté du 2 août 2010, a d’abord permis l’arrosage et l’irrigation, puis le décret du 10 mars 2022 a complété l’arrêté en intégrant de nouveaux usages : 
  • le nettoyage des voiries, 
  • la lutte contre les incendies, 
  • ou encore la recharge des nappes phréatiques.  

Le 26 juin 2023, le règlement 2020/741 du 25 mai 2020 de l’Union Européenne viendra modifier la règlementation française en définissant des exigences minimales en termes de réutilisation de l’eau.


De nouvelles perspectives amenées par l’annonce d’un Plan Eau 

Le 30 mars 2023, le gouvernement français a annoncé la création d’un « Plan Eau » visant à mieux préserver la ressource en eau.  

Parmi les 53 mesures du Plan, la question de la valorisation des eaux non conventionnelles est mise en avant avec l’objectif affiché de passer de 1 % à 10 % d’eau réutilisée à l’horizon 2030. 

Pour répondre à cet objectif, le plan prévoit plusieurs mesures : 

  • Développer 1 000 projets de réutilisation sur l’ensemble du territoire français d’ici 2027 ;
  • Lever certains freins règlementaires pour utiliser plus fortement les eaux non conventionnelles dans certains secteurs industriels et certains usages domestiques ;
  • Accompagner des porteurs de projets spécialisés sur la réutilisation ;
  • Créer un observatoire sur la réutilisation des eaux usées traitées ;
  • Soutenir de manière plus conséquente (via les Agences de l’eau) les projets de récupération des eaux de pluies de toiture des bâtiments agricoles.


Dans le contexte de réchauffement climatique et de nécessité d’adopter une stratégie de sobriété sur la ressource en eau, réutiliser les eaux non conventionnelles de manière plus massive pourrait être un atout majeur, particulièrement pour les usages ne nécessitant pas d’eau potable. 

Avec les changements de réglementation prévus par le « Plan Eau » de 2023, cette pratique devrait pouvoir se développer plus fortement en France.  



Partager cet article